• Handicap et accompagnement sexuel, un tabou sur les planches
    Jul 6 2025

    La pièce de théâtre « Toutes les autres », créée le 5 juillet 2025 au festival off d’Avignon, porte sur un sujet délicat : l’accompagnement sexuel des personnes en situation de handicap.

    Sur la scène du théâtre Artéphile à Avignon, l’autrice, Clotilde Cavaroc et la metteuse en scène Elise Noiraud nous mettent en présence de deux personnages : Clémence (Kimiko Kitamura), en fauteuil roulant depuis un terrible accident de voiture, et Antoine (Stéphane Hausauer), infirmier à l’hôpital de son métier mais aussi accompagnant sexuel expérimenté, formé en Suisse. C’est elle qui fait appel à lui, qui propose des caresses, des massages, des jeux érotiques et des rapports sexuels consentis. Antoine insiste beaucoup sur la question du consentement : c’est la raison pour laquelle il exclut par principe les handicaps mentaux. Il n’accepte pas non plus les relations avec les moins de 30 ans en raison de l’écart d’âge -lui a 47 ans-. Autre règle importante : garder de la distance (il n’embrasse pas) et proscrire toute dépendance affective.

    La pratique de l’ « accompagnement » - ou de « l’assistance » - sexuelle aux personnes en situation de handicap est apparue dans les années 70 aux États-Unis ; elle s’est étendue sous des formes assez différentes dans plusieurs pays européens : aux Pays-Bas, en Allemagne, au Danemark ou en Suisse, elle est légale et encadrée. En France, proposer des services sexuels moyennant rétribution -y compris à une personne en situation de handicap- est considérée comme de la prostitution, et mettre en relation les deux protagonistes comme du proxénétisme. Il y a pourtant des associations qui militent pour que changent les regards et la législation. C’est le cas de l’Association Pour la Promotion de l’Accompagnement Sexuel, dont un des membres témoigne en off au début du spectacle, et qui ne parle pas de clients, mais de « bénéficiaires ».

    D’autres associations, comme le Collectif Luttes et Handicaps pour l’Égalité et l’Émancipation, fondée par l’avocate Elisa Rojas, avancent des contre-arguments, dénonçant le caractère marchand de la prestation, mais aussi une démarche incompatible avec l’objectif d’autonomisation des personnes en situation de handicap. Mais le débat n’a jamais véritablement commencé auprès du grand public, tant la question semble taboue. Même si en 2020, la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées a adressé un courrier au président du Conseil Consultatif National d’Éthique (CCNE) dans lequel elle expliquait que s’ouvre « une réflexion éthique en abordant le sujet de l’assistance sexuelle avec une vision renouvelée ».

    Toutes les autres, de Clotilde Cavaroc, mise en scène d’Elise Noiraud, au Théâtre Artéphile à Avignon du 5 au 26 juillet 2025 (relâche les dimanches).

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  • André Bouny, des nouvelles du Vietnam
    Jul 5 2025

    Dans un recueil de 13 histoires, l’écrivain, peintre et militant engagé André Bouny raconte la souffrance et la résilience des Vietnamiens contre toutes sortes d’adversités.

    Né dans une famille rurale du sud de la France, André Bouny proteste pendant ses études à Paris contre la guerre du Vietnam. Profondément ému par la découverte des ravages sur ce pays, notamment à travers les dégâts causés par l’agent orange, il devient père adoptif d’enfants vietnamiens, et ne cessera de s’engager pour la paix, notamment contre les mines anti-personnel et en soutien des victimes de l’agent orange. Il est d’ailleurs l’auteur d’un livre de référence sur ce dossier, L’Agent Orange : Apocalypse Vietnam (éditions Demi-Lune), qui a permis la tenue d’un procès en 2014 au nom d’une victime française d’origine vietnamienne, Tran To Nga. André Bouny est aussi le fondateur de l’association caritative DEFI Viêt Nam en 1999 et du Comité international de soutien aux victimes vietnamiennes de l’agent orange (CIS). En mars 2007, il intervient à ce sujet lors de la 4è session du Conseil des Droits de l’Homme des Nations unies, et continue inlassablement depuis à expliquer les conséquences de ce poison, que l’on rencontre à plusieurs reprises dans ce recueil de nouvelles.

    Les Neuf fils de Madame Thu réunit treize nouvelles qui racontent le Vietnam du XXè et du XXIè siècle, de la colonisation française jusqu’à nos jours. À travers des scènes de la vie quotidienne, l’auteur nous plonge dans l’atmosphère chaude et humide du pays d’Asie du Sud-Est, terre de typhons et de moussons, de forêts et de rizières, où la nature et le climat sont rudes.

    André Bouny raconte les violences sociales au sein d’une plantation de caoutchouc de l’époque coloniale et nous emmène ensuite sur le grand marché aux coolies d’une île de l’archipel d’Ha Long. Il nous conduit aussi dans un village de pêcheurs de la province de Quang Ngai (centre), ou encore aux côtés d’un conducteur de cyclo-pousse d’Hô Chi Minh-Ville qui peine à gagner sa vie.

    Plus étonnant : l’auteur imagine un voyage clandestin d’un pape au Vietnam, à bord d’un « papabateau » construit dans le plus grand secret, baptisé « Ile Vaticane ». Le Vietnam compte quelque 5.5 millions de catholiques, une des communautés les plus nombreuses d’Asie du Sud-Est après les Philippines. Sous le pontificat du pape François, le dialogue bilatéral entre Rome et Hanoï avait fait de nombreux progrès, et le souverain pontife avait dit à plusieurs reprises sa volonté de se rendre au Vietnam.

    Des récits à hauteur d’hommes et de femmes, empreints d’une injustice venue d’ailleurs : notamment celle des colons français, des soldats de l’armée des États-Unis ou encore des navires de pêche chinois. La lutte permanente du pot de terre contre le pot de fer. Mais toujours le même courage, la même dignité et la même force de vie face à l’adversité.

    Les Neuf fils de Madame Thu, André Bouny (Éditions du Canoë).

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  • Les Gorilles du Général, les cerbères et le pépère
    Jun 29 2025

    Dans une nouvelle série de bande dessinée, Les Gorilles du Général, Julien Telo et Xavier Dorison racontent la présidence de Gaulle vue par ses gardes du corps. Un régal.

    Qui n’a pas rêvé de se transformer en petite souris pour vivre les grands épisodes de l’Histoire dans l’ombre des grands hommes ? À travers cette nouvelle série de bande dessinée, Xavier Dorison et Julien Telo ont préféré les gorilles aux rongeurs : les gardes du corps du président de la République, le général de Gaulle en personne ! Quatre cerbères en costumes-cravate, tous anciens de la Résistance, qui veillent sur un chef d’État en proie à de lourdes menaces.

    Car en ce mois de Septembre 1959, titre du premier volet de cette série sobrement baptisée Les Gorilles du Général (Casterman), la toute jeune Vè République fait face à la flambée de violences liées à la guerre d’Algérie (1954-1962) qui s’étendent sur le territoire métropolitain.

    Pour rédiger son scénario, Xavier Dorison a rencontré Raymond Sasia, le dernier « gorille » de Charles de Gaulle encore en vie. L’histoire racontée dans l’album est inspirée de faits réels et de personnages placés dans un contexte réel, mais elle n’en reste pas moins une fiction : ni les dialogues ni les actes des quatre principaux protagonistes ne sont le reflet de la réalité, même si chacun d’eux a des points communs avec les vrais gardes du corps du Général. Le dossier placé à la fin du livre permet de faire le tri. Et de constater la véracité des bons mots que les auteurs placent dans la bouche du président, dont on constate avec amusement le sens de l’humour et l’étendue de la culture (classique).

    Les dialogues à la Audiard et les dessins de Julien Telo résonnent de l’atmosphère des années 50-60 et les quatre principaux personnages en sont aussi le reflet. Ange Santoni (dérivé du célèbre Paul Comiti), Corse d’une fidélité à tout épreuve, a un fils qui sert en Algérie parmi les appelés du continent ; Alain Zerf (alias Hento Hachmi D’Jouder) et sa famille sont tiraillés entre son patriotisme et ses origines familiales kabyles, d’autant plus que sa sœur et son beau-frère sont restés à Mostaghanem ; Max Milan (le personnage inspiré par Raymond Sasia) est ceinture noire de judo et parachutiste ; quant à Georges Bertier (inspiré par Roger Tessier), il pratique la boxe.

    Ces quatre mousquetaires ont été recrutés et sont directement rattachés à l’éminence grise de l’Elysée, Jacques Foccart en personne, surnommé « Le Chanoine ». Charles de Gaulle a lui aussi un surnom : entre eux, les gorilles l’appellent « Pépère » un sobriquet plein d’affection qu’ils se gardent évidemment de prononcer en sa présence.

    Les Gorilles du Général, Septembre 1959, de Julien Telo et Xavier Dorison (Casterman).

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  • Avec François Cusset, Elon Musk s’en tire à bon conte
    Jun 28 2025

    « Petit Musc, comptes et légendes », de l’historien des idées et spécialiste des États-Unis François Cusset, raconte Elon Musk à la façon d’un conte médiéval.

    François Cusset est historien des idées et professeur de Civilisation américaine à l’Université de Paris-Ouest Nanterre, auteur de plusieurs essais consacrés à l’histoire intellectuelle et politique contemporaine, mais aussi de fictions, souvent liés d’ailleurs à ses recherches.

    Le voici de retour en librairies avec un personnage au cœur de l’actualité américaine de ces dernières années : le milliardaire, chef d’entreprises mais aussi homme politique proche de Donald Trump, Elon Musk.

    Pour raconter son enfance, son ascension, ses ambitions et sa soif de pouvoir sans limites, l’écrivain l’a renommé « Petit Musc », et transpose le récit de sa vie sous forme de conte du Moyen-Age, imitant le langage médiéval et les mœurs féodales.

    De sa naissance à Pretoria, dans l’Afrique du Sud de l’apartheid jusqu’à son bilan à la tête du DOGE (Department of Government Efficiency) et sa relation avec Donald Trump -rebaptisé Le roi La Trompe dans le roman, l’auteur retrace les différentes réalisations de l’ambitieux personnage : le lancement de la banque en ligne X.com, le succès de la société de paiement en ligne Paypal, et bien évidemment le rachat de Tesla, constructeur américain de voitures électriques (fondé par Martin Eberhard et Marc Tarpenning) dont il fera le fer de lance de son succès. Se dégage l’impression d’un enfant avide de réaliser ses rêves d’innovation, perfectionniste et grand travailleur, mais peu soucieux du bien-être de ses collaborateurs et de ses ouvriers. Avec aussi quelques échecs comme l’Hyperloop, un système de transport ferroviaire à très grande vitesse, sous la forme d’un double tube à basse pression à l’intérieur duquel circuleraient des capsules entre le centre de San Francisco et le centre de Los Angeles.

    François Cusset évoque aussi Neuralink, la start-up en neurotechnologie et transhumanisme fondée par Elon Musk en 2016, et le rachat de Twitter (bientôt rebaptisé X par Musk, et que le romancier désigne sous le nom plus poétique d’ « Oiseau Bleu »). Il montre à quel point l’intérêt du milliardaire pour les nouvelles technologies se traduit aussi par une volonté de contrôler le cerveau non seulement de ses concitoyens, mais aussi de l’ensemble des habitants de la planète.

    Mais les ambitions de « Petit Musc » ne se cantonnent évidemment pas à la Terre, loin s’en faut : la planète Mars est en effet dans les radars de sa société spatiale SpaceX. Persuadé que l’homme aura les moyens un jour non seulement d’atteindre, mais également de coloniser la planète rouge, c’est aujourd’hui sa nouvelle frontière. Si tant est que le personnage accepte l’idée de borner ses ambitions.

    Petit Musc, comptes et légendes, François Cusset (Éditions des Busclats).

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  • Les Ouïghours, de vraies têtes de Turcs
    Jun 22 2025

    L’album d’Erkin Azat et Luxi «Erkin Azat, lanceur d’alerte des camps ouïghours» (Delcourt), raconte, à travers une histoire familiale et de nombreux témoignages, la répression chinoise contre les turcophones du Xinjiang.

    Erkin Azat est un pseudonyme, adjonction de deux mots qui disent la liberté, le premier en turc, le second en perse. C’est ce que l’on apprend à la page 139 de cet album écrit par ce Sino-Kazakh, lui-même devenu lanceur d’alerte sur internet à l’issue d’une série de péripéties, qu’il raconte dans cet album dessiné par Luxi, dessinatrice chinoise qui vit en France. Ce jeune ingénieur travaille au Kazakhstan dans une compagnie pétrolière quand il est rattrapé par l’histoire de sa famille ouïghoure en 2009. Revenant d’Urumqi, sa ville natale et capitale du Xinjiang où il avait l’habitude de rendre visite à ses parents, il est arrêté à la frontière : en contrôlant son ordinateur, les douaniers sont tombés sur une page Wikipédia avec un drapeau du Turkestan Oriental. Soumis au feu roulant des questions des policiers, il va passer quelque temps en centre de détention, avant d’être libéré moyennant une vidéo contenant de (faux) aveux et une mission : espionner les Ouïghours dans la raffinerie où il travaille.

    Quelques jours plus tard, une autre vidéo devient virale sur les réseaux sociaux. Elle montre des ouvriers ouïghours accusés de viol lynchés par des Hans -ethnie majoritaire en Chine-. Les Ouïghours convoquent aussitôt une manifestation de protestation le 5 juillet 2009 à Urumqi. Le rassemblement entraînera une répression féroce. Les autorités chinoises accusent les Ouïghours de terrorisme, un grief déjà brandi depuis les attentats islamistes du 11 septembre 2001 aux États-Unis.

    Ces deux événements incitent le jeune ingénieur à s’intéresser à l’histoire de sa famille. Il s’intéresse notamment au parcours de son grand-père, engagé dans l’armée du Turkestan Oriental dans les années 30, et qui, pour fuir la famine et la répression stalinienne, a quitté le Kazakhstan en 1933, et s’est retrouvé au Xinjiang, pris en étau entre les Soviétiques et les Chinois.

    Depuis, la situation des turcophones ne s’est pas du tout arrangée. À partir de 2014, les autorités chinoises commencent à construire des camps destinés à interner des centaines de musulmans pratiquants ouïghours et kazakhs. Et en 2018, la répression monte encore d’un cran et les arrestations arbitraires se multiplient. La liste des noms de disparus s’allonge. À l’abri de son pseudonyme, Erkin Azat ose prendre la parole sur les réseaux sociaux, et s’investit dans une association qui recueille des témoignages et alerte la presse et les Nations unies, qui estiment en août 2018 à plus d’un million le nombre de détenus dans les camps du Xinjiang.

    Les témoignages exposés à la fin de l’album sont glaçants. Un avocat raconte les procès de pacotille, une infirmière évoque les stérilisations de femmes, les avortements contraints et autres infanticides. Courageusement, une rescapée des camps raconte ses 15 mois d’enfer. Quant à Erkin Azat et la dessinatrice Luxi, ils se sentent menacés par le régime chinois.

    Erkin Azat, lanceur d’alerte des camps ouïghours, Erkin Azat et Luxi (Delcourt).

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  • Berlin et la guerre froide, par-delà le Mur
    Jun 21 2025

    Jusqu’au 28 septembre, la Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris raconte une ville, un pays et une planète coupés en deux à travers une exposition dense et passionnante Le Mur de Berlin. Un monde divisé.

    Ils étaient trop lourds pour les rentrer à l’intérieur : six morceaux du Mur de Berlin sont exposés devant la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, sur la place du Trocadéro, dans un petit espace jouxtant l’esplanade qui fait face à la tour Eiffel : 10 mètres de long, 3 mètres et demi de haut, et plus de 2 tonnes et demie !

    L’exposition commence donc sur le parvis, avant même la billetterie, et avant une plongée dans un demi-siècle d’histoire d’une ville – Berlin – d’un pays – l’Allemagne – et du monde : celui de la guerre froide. Le Mur de Berlin. Un Monde divisé, tel est le titre de cet événement qui fait escale à Paris, première étape internationale après sa naissance à Madrid. Quelque 200 objets originaux et une kyrielle de témoignages qui racontent à hauteur d’hommes et de femmes le vécu des Berlinois de chaque côté du Mur, en le mettant en perspective avec l’évolution du monde de 1945 et la fin de la guerre mondiale jusqu’à la chute du Mur en novembre 1989.

    À lire aussiMur de Berlin : de sa construction à sa chute, les dates clés

    Pendant 28 ans, depuis son érection dans la nuit du 12 au 13 août 1961 jusqu’à sa chute (9 novembre 1989), ce symbole de la fracture entre l’Est et l’Ouest a séparé les familles, les amis, les voisins et la nation allemande tout entière. Le dispositif frontalier sera ensuite renforcé au fil des années pour empêcher les fuites à l’ouest.

    L’exposition présente notamment des photos de Berlinois en train de sauter des fenêtres des immeubles de la Bernauer Strasse le 22 septembre 1961. Parmi eux, Ida Siekmann se blesse grièvement en sautant du troisième étage. Elle mourra lors de son transfert à l’hôpital, devenant ainsi la première victime du Mur.

    Le parcours évoque aussi la course aux armements et accorde une large place à la menace nucléaire, et cet « équilibre de la terreur » a plané d’un bout à l’autre sur ce monde divisé. On ne peut être que frappé par cette petite plaque d’identification distribuée en 1952 dans les écoles publiques de New York, destinée à identifier les corps en cas d’attaque nucléaire.

    L’exposition montre également, notamment à travers des affiches, l’importance de la propagande. On est loin de la « poignée de main de Torgau » le 25 avril 1945, quand deux soldats, un Soviétique, l’autre Américain, se rejoignirent et fraternisèrent sur un pont au-dessus de l’Elbe. Le blocus et le pont aérien de 1948-1949, la grève des cheminots de 1949 et l’insurrection de 1953 sont également évoqués à travers des objets, des photos et des cartes.

    ► Le Mur de Berlin, un monde divisé, à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine (Paris) jusqu’au 28 septembre 2025.

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  • Nadia Comăneci, la liberté prend la barre
    Jun 15 2025

    Dans un album au graphisme fortement influencé par le manga, Clem et Marjolaine Solaro racontent l’incroyable destin de « la petite fée » des Jeux Olympiques de 1976.

    Le 18 juillet 1976 est une date-clé dans l’histoire de la gymnastique olympique. Devant le public du Forum de Montréal (Canada) et les téléspectateurs du monde entier, une jeune Roumaine de 14 ans obtient un 10 sur 10 à l’épreuve par équipe des barres asymétriques. Une note révélée à l’issue de longues secondes de suspense : les tableaux lumineux n’avaient pas anticipé une telle perfection, ils affichèrent alors au-dessous du numéro de dossard, de la compétitrice -73-, une note de 1.00. Le temps de réaliser que la note en question était bien un 10, et cette adolescente entre aussitôt dans la légende : c’est en effet une première dans l’histoire des Jeux Olympiques. Au total, elle remporte sept 10 sur 10 et cinq médailles : trois en or au concours général, aux barres asymétriques et à la poutre ; une en argent au classement par équipe ; et une en bronze aux exercices au sol. Une performance tout simplement exceptionnelle.

    La jeune fille en question s’appelle Nadia Comăneci. Et c’est son incroyable destin que racontent la romancière et scénariste Marjolaine Solaro - elle-même ancienne gymnaste et voltigeuse équestre de haut niveau- et CLEM, auteur de bande dessinée fasciné par le manga dont l’influence graphique se ressent dans chacune des cases.

    Un destin à la fois personnel, mais aussi politique, car il s’inscrit pleinement dans l’histoire de la seconde moitié du XXè siècle : en 1976, la guerre froide fait rage entre les deux blocs, l’Ouest capitaliste dominé par les États-Unis et l’Est communiste dominé par l’URSS. La Roumanie est l’un des satellites de l’Union Soviétique, et le dirigeant roumain, le Conducator Nicolae Ceaucescu comprend tout de suite quel parti lui-même et son régime peuvent tirer de la performance de Nadia Comăneci. La jeune fille est donc à la fois récompensée et placée sous étroite surveillance de la police secrète roumaine, la Securitate.

    La bande dessinée relate à la fois l’enfance et l’ascension de la jeune Nadia - sous la férule d’un couple d’entraîneurs inflexibles, Bela et Marta Karolyi - ; les hauts et les bas d’une vie indexée sur la recherche de performance à tout prix ; le poids de la pression qui peut aider à se surpasser, mais qui fait parfois craquer ; et la récupération politique. Mais l’album insiste aussi sur les aspirations de l’héroïne à la liberté, vis-à-vis de ses mentors successifs, mais aussi vis-à-vis de la chape de plomb de la dictature communiste : de passage à New York en 1981, Nadia rate l’occasion de faire défection en marge d’une compétition. 8 ans plus tard, dans la nuit du 27 au 28 novembre 1989, elle parvient à franchir clandestinement la frontière hongroise, et se retrouve le 1er décembre sous les flashes, à son arrivée à l’aéroport JFK de New York. Commence alors sa deuxième vie, qui la verra notamment épouser le gymnaste américain Bart Conner.

    Nadia Comăneci, de Marjolaine Solaro et Clem, est publié aux éditions Glénat.

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  • «Les Loups de Tanger», l’étoffe de l’héro
    Jun 14 2025

    Dans son premier roman, l’historien, écrivain et critique littéraire Jacques de Saint Victor raconte les prémisses de la French Connection dans les années 50.

    Jacques de Saint Victor, écrivain, universitaire et critique au Figaro Littéraire, est un spécialiste des mafias. En témoignent plusieurs de ses précédents ouvrages, notamment Un pouvoir invisible (Gallimard, 2012) qui lui a valu le prix de l’essai de l’Académie française.

    Les Loups de Tanger est son premier roman. Il nous plonge dans la Méditerranée des années 50, en commençant par Tanger, en 1953, une magnifique ville portuaire ouverte sur le détroit de Gibraltar, qui attirent les milliardaires, les intellectuels mais aussi gangsters et trafiquants attirés par le statut spécial de port franc, en marge du protectorat français sur le Maroc depuis 1923.

    C’est là que commence l’enquête des deux héros du livre : Max, un reporter chevronné qui travaille pour un magazine à succès, et son assistant Théo, un étudiant en droit qui étudie la piraterie et la baraterie, deux thématiques qui leur seront fort utiles. Le point de départ du reportage est en effet une affaire de piraterie touchant un cargo, le Combinatie, impliqué dans un trafic de 2 700 caisses de cigarettes blondes américaines. Un acte que l’un des informateurs de Max a signalé comme cachant « un grand coup ».

    L’écrivain met en scène de très nombreux personnages parmi lesquels de grands noms du banditisme corso-marseillais, mais aussi italien et américain, dont les noms appartiennent à l’histoire du milieu. Parmi eux, le légendaire Lucky Luciano (souvent considéré comme l’un des plus grands noms du crime organisé aux États-Unis, mais retiré à Naples), les non moins célèbres frères Guérini, Monsieur Jo (Joseph Renucci, le « capitaine des Corses) son adjoint Erwan (« Le Bosco) et son associé Marcel (Marcel Francisi, ancien de la France Libre et élu gaulliste en Corse), le truand marseillais Nick Venturi -longtemps proche du maire socialiste de Marseille Gaston Defferre, ou Antoine Paolini alias Planche. Toute une galerie de personnages aux portraits brossés avec truculence par l’écrivain dans ce roman palpitant, qui mélange la réalité et la fiction.

    La deuxième partie du roman se déroule en Corse, dans la région d’Ajaccio, où Théo va se retrouver mêlé à une délicate affaire de vendetta, quand il va retrouver celle dont il est tombé amoureux fou, sublime Corse à la peau mate et au grand sourire, qu’il a rencontrée lors de son enquête tangéroise, alors qu’elle était serveuse au Venezia, un restaurant de luxe où de nombreux truands avaient leur rond de serviette.

    Peu à peu, de chapitre en chapitre, les deux héros de Jacques de Saint Victor mettent ainsi au jour les prémisses de la plus grande organisation française de trafiquants de drogue -d’héroïne- de l’histoire : la French Connection. Une entreprise savamment rodée.

    Les Loups de Tanger, Jacques de Saint Victor (Calmann-Lévy).

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    20 mins