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Une parenthèse sonore et visuelle où la poésie se mêle de la santé.
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Lors d’une hospitalisation prolongée, j’ai compris quelque chose que l’on oublie dès que l’on franchit la porte de sortie : le monde se réduit.
Ce n’est pas seulement une impression, ni une simple métaphore.
C’est une contraction réelle, physique. Une sorte de marée descendante qui, lentement, engloutit tout ce qui existait avant.
La chambre devient le seul territoire. Un cube aux murs blancs, un espace où les distances se comptent en pas – deux du lit à la fenêtre, trois du fauteuil à la porte.
Au début, on regarde encore dehors. On tente de capter un mouvement, un signe qu’au-delà des vitres, la vie continue.
On sait que les voitures roulent, que des pains au chocolat tièdes sont encore vendus dans des boulangeries, que quelqu’un quelque part rate son métro.
Mais très vite, cela devient une agitation floue, sans importance.
Ce qui compte, c’est ici.
Ce qui existe, c’est ce qui entre dans la chambre.
L’infirmière qui pousse la porte, le chariot du repas avec son plateau de plastique, le bip des machines dans le couloir.
Les jours perdent leurs noms.
Ils sont des unités flottantes, interchangeables, qu'il est difficile de distinguer.
D’ailleurs, j’ai un souvenir tendre de mon stage en soins palliatifs, et des jours inscrits sur les tableaux Velléda. Ces dates tracées d’une main appliquée. Un détail anodin, et pourtant essentiel. Une preuve discrète que l’on sait, de l’autre côté, que le temps ne s’écoule pas de la même façon ici. Que pour celui qui est allongé dans ce lit, c’est un point d’ancrage dans un espace qui se dérobe.
Un phénomène ne m'a jamais quitté : la maison de Colin et Chloé rapetisse à mesure que la maladie progresse. C’est exactement cela. Une existence qui se rétracte, qui se replie sur elle-même.
La maladie ne remet pas seulement en doute l’avenir, elle prend aussi l’espace.
On réduit l'horizon. On cesse d’aller et venir.
Lors de l'hospitalisation cela s'amplifie, tout tend à se ramasser, se contracter, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que la respiration, le battement du cœur, et le plafond comme plus simple horizon.
Il n'est pas facile de voir cette réduction de l'univers au travers de la chambre d’hôpital. Pour nous, c’est une pièce, un passage, un lieu temporaire.
Nous venons avec tout notre monde actif sur nos épaules – la rue, les magasins, les nouvelles du dehors. La parole est rapide et les gestes ne sont pas en reste. Alors que derrière la porte, le temps n’a pas la même densité.
On referme la porte, et tout semble revenir à l’ordre.
Mais ce que l’on quitte ne disparaît pas. Il y aura toujours quelqu’un derrière cette porte, un visage, une respiration, une lumière allumée dans la nuit.
Un monde qui tient dans un lit, un paquet de gâteaux posé sur une table, une date inscrite sur un tableau blanc.
Et si l’on y pense vraiment, alors on n’entre plus jamais de la même manière.
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